Digital learning, sur quoi faut-il résister (4) ?

  Jérôme Bocquet
  5 novembre 2016

Cet article est le quatrième d’une série sur les transformations de la formation

Après « comment sortir du déni sur le digital learning », nous allons aborder  « Digital learning : sur quoi faut-il résister ?

2) Résister pour de vraies raisons

Le digital arrive dans un contexte préexistant : il y a déjà des modalités de formation, des croyances, des habitudes, des rentes de situations, et bien entendu des individus qui vont gagner dans le digital et d’autres qui vont perdre …

N’oublions pas les entreprises ! Celles qui vivent toujours à l’âge de pierre. Et celles qui sont à la pointe et qui paradoxalement sont les moins enthousiastes, car elles ont vécu la réalité du digital learning, ce réel changement de culture qui va prendre du temps…

Tout cela nous amène ainsi à la résistance au changement et soncourbe-changement cortège de « pourquoi changer alors que … ? ». 

C’est une réaction saine, car il y a un vrai risque à s’engager dans le digital sans avoir pesé le pour et le contre. Apprendre à résister, c’est inhiber nos automatismes afin  activer notre capacité à raisonner et à penser le sujet (voir l’excellent livre d’Olivier Houdé : Apprendre à résister)

Alors résister ? Oui, au repli sur ses certitudes et le déni, mais aussi à l’engagement sans avoir identifié les impacts du changement.

Résister surtout à l’engouement sans réserve sur le « N’Importe Quoi Learning », ce truc soi-disant formidable mêlant digital et neurosciences, qui va révolutionner la formation et qui n’est juste qu’une modalité de plus à utiliser (ou pas !). Cet engouement qui s’empare des nouveaux convertis  qui sautent comme des cabris en criant « c’est digital, c’est nouveau donc c’est génial » et qui passent très vite à « c’est pas top, ça ne sert à rien ».

Il ne suffit pas de dire que ce n’est pas utile. Il faut être un sceptique positif,  identifier ce qu’il faut garder, ce qu’il faut changer, et surtout trouver les solutions pour avancer.

C’est pourquoi, afin de réussir la transformation, je vous propose une liste (loin d’être exhaustive) de 8 raisons  à examiner suite à l’arrivée du Digital dans le Learning.

Raison 1 : Le tout présentiel n’est pas la panacée.

Ce n’est pas parce que les participants sont présents qu’ils progressent. Si le but est de dérouler un cours au cours duquel le formateur parle puis valide les connaissances avec un quiz, autant suivre un MOOC (ces raisons de résister ne sont pas forcément contre le digital!).

Dans les années 2000, de nombreuses organisations se sont rendu compte que quantité de formations présentielles étaient de mauvais cours (l’enseignant parle, lit ses slides, les participants prennent des notes) et donc que leur utilité était faible. Elles leur ont donc préféré les e-learnings (qui ne valent guère mieux que ces cours, mais au moins ne demandent pas de déplacer les participants!).

Raison 2 : Le digital en présentiel peut être une fausse bonne idée.

Si c’est pour que chacun tapote sur son smartphone et ne partage rien avec ses voisins autant être tout seul.

A partir de 20 personnes, il est difficile que chacun participe. Mais s’il faut utiliser un smartphone dans un groupe de 10 personnes pour créer de la participation ou de l’interaction, c’est qu’il y a un problème. Soit de scénario pédagogique, soit de capacité d’animation.. A moins que l’activité nécessite réellement d’utiliser un smartphone !

Raison 3 : Tout digitaliser en présentiel est une erreur.

Si c’est pour présenter des slides et des vidéos et ne pas s’adapter aux besoins des participants, autant suivre des tutos.

La valeur ajoutée de bénéficier d’un humain qui pilote en temps réel la formation, c’est sa capacité à interagir avec ses participants, à adapter son déroulé pédagogique, à passer plus de temps sur un sujet et moins sur un autre… bref à animer (donner une âme) sa formation. Quelqu’un qui clique sur des activités et qui suit un script n’est pas un formateur, mais un présentateur.

Raison 4 : le digital augmente le décrochage.

En présentiel, le corps de participants est garanti d’être présent, mais pas forcément leur attention (d’où l’importance de la pédagogie active pour captiver l’esprit). En distanciel, aucun des deux n’est parfois présent. Le taux de décrochage est la plaie du distanciel ou du différé : il est très facile de s’échapper d’une classe virtuelle, de lire distraitement un article ou bien de regarder de loin une vidéo.

La dynamique d’animation n’est pas seule en cause, il y a aussi la valeur ajoutée sur le sujet. Un bon formateur présentiel va enrichir un contenu un peu faible avec des activités, des anecdotes, des cas tirés de l’expérience des participants… Dans le digital, c’est impossible.

Après avoir suivi de nombreux MOOCs (management, projet, changement, pédagogie…), j’en retire que la forme est importante (le présentateur, les vidéos, les quiz, les fiches, les activités, la communauté…) mais le plus souvent, le contenu a une très faible valeur ajoutée. Ce qui est peut être lié au fait qu’il faut toucher tout le monde et plutôt des étudiants, bien que je pencherais plutôt vers un manque de pratique réelle du sujet de certains intervenants.

Raison 5 : les nouveaux acteurs du Digital doivent développer leur expérience et/ou pratiques des autres modalités pédagogiques.

Un nouveau métier est apparu : le Digital Learning Manager (DLM : voir liens ci-dessous). Hybride de pédagogue, de technophile, de chef de projet, de grand sorcier du Digital, et d’ovin à 5 pattes.

Le problème se pose pour les nouveaux entrants issus du Digital, qui possèdent souvent des connaissances sur les théories pédagogiques, une expérience de la gamification (liée principalement aux jeux-vidéo et non pas à l’immensité des modalités ludiques), un peu de recul sur les outils numériques (serious game, MOOC, classe virtuelle, webinar…), mais affichent une pratique assez limitée des autres modalités pédagogiques. Pour eux, le présentiel est souvent un mauvais cours qu’il faut éviter!

Ceci est plus lié à une méconnaissance et un manque d’expérience de certaines modalités qu’à une volonté de ne pas s’ouvrir. Il faut avoir vécu des présentiels à forte valeur ajoutée pour savoir que cela existe et en avoir animé des dizaines de fois pour réellement les maîtriser.

Tout débutant manque de repères. Quand j’ai créé mes premiers jeux pédagogiques en 1991, je pensais que le jeu était la solution à tout et que toute solution passait par un jeu. Ayant eu la chance de travailler avec de vrais pédagogues qui m’ont rapidement fait découvrir les autres modalités pédagogiques, et fort de 25 ans de pratique de la formation, je ne démarre jamais par l’outil ou la modalité mais par le besoin à satisfaire ou le problème à résoudre.

Raison 6 : Les concepteurs digitaux capables de construire et d’animer une formation en présentiel active et participative avec un groupe sont plus l’exception que la norme.

Il n’est pas pas là question d’animer une réunion de 2 heures sur le digital learning, les neurosciences ou le serious game avec un public convaincu. Mon propos est l’animation d’une formation sur la gestion du temps avec des gens moyennement motivés pour qu’ils en sortent plus que satisfaits (« Je ne me suis pas ennuyé », « ça va me servir » et « je sais maintenant comment faire pour …. »).

Pour réaliser un vrai parcours en « blended », il faut s’appuyer sur des personnes qui pratiquent le sujet, qui ont du recul sur les clés de la réussite, qui sont à l’aise dans la conception du présentiel et du distanciel, dans l’utilisation du physique et du numérique, dans l’animation de grands groupes, de groupes de formation (4-12 personnes) et dans l’accompagnement individuel..

Raison 7 : la plupart de participants ne font pas les activités digitales avant le présentiel ou en ont un souvenir très lointain.

Ce sujet sera développé dans le billet sur le chantier 4 : comment augmenter les compétences des acteurs à exploiter des parcours de formation

Raison 8 : Comme le dit si bien Olivier Zara en parlant du manager digital : « ce qui n’existe pas dans le réel n’existe pas dans le virtuel ».transformation-de-la-formation

Un formateur inefficace en présentiel, qui débite du contenu et des slides et qui donne des infos à faible valeur ajoutée, fera du digital tout aussi inefficace. Il faut donc démarrer par le chantier 1 : Formation et conception pédagogique

Tenir compte de toutes ces raisons permet de définir une stratégie de formation qui utilise le digital en complément harmonieux des autres modalités.

Après le Déni et la résistance face à la transformation, nous verrons dans un prochain billet : comment rentrer dans l’exploration et l’engagement

En savoir plus sur le Digital Learning Manager :


A suivre dans un prochain billet : Digital learning : comment rentrer dans l’exploration et l’engagement ?

Voir les 4 premiers billets de la série :

 

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